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Le métier de traducteur
--> Rencontre avec Corinna Gepner

La traduction est une activité dont les conditions de travail restent relativement peu médiatisées. Ancienne salariée de l’éducation nationale, Corinna Gepner, traductrice littéraire de l’allemand au français, est membre du jury du prix amphi 2005. Dans son appartement parisien, elle nous apprend ce qui caractérise son métier en termes de difficulté mais aussi d’intérêt. Le tout avec un indéniable enthousiasme professionnel. Extraits.

Une vocation surprise

Il serait euphémique d’affirmer que le milieu de la traduction est très fermé. « Les éditeurs n’attendent pas ». Corinna Gepner n’a pas pour autant renoncé à postuler et envoyer ses projets. S’il existe à l’heure actuelle des cursus universitaires adaptés, elle n’y est pas passée. Non seulement parce que ceux-ci n’existaient pas mais également parce que le métier n’était pas spontanément inscrit dans ses intentions. D’une formation littéraire, l’agrégation, la thèse et l’enseignement ont jalonné son chemin un certain temps. Après le choix impliquant du départ de la grande maison, la traduction constitue désormais son activité principale qui toutefois, nécessite la présence d’activités annexes telles que la critique littéraire.

La traduction littéraire se distingue de la traduction technique. Il y a une différence dans la nature du travail autant que dans celle du statut. Ce qui signifie concrètement que Corinna Gepner travaille en tant qu’indépendante mais n’est pas travailleuse indépendante. C’est une condition très particulière sur laquelle elle insiste. Le traducteur est rémunéré en droits d’auteur. De façon privilégiée il offre ses services aux maisons d’édition. Arriver à ce genre de collaborations peut prendre beaucoup de temps. En ce qui concerne Corinna Gepner, sa relation avec les éditions Phébus ne dure que depuis quelques années. Dilettante, elle avait commencé par transposer un recueil de textes de Kafka, ce qu’elle admet être une initiation impressionnante. Puis son intérêt pour les écrivains de cette période et de ces environs géographiques l’ont amenée à découvrir un auteur inconnu en France et en a fait une traduction, à l’origine pour son plaisir personnel, qu’elle a ensuite proposée aux éditeurs. Séduite par la tentative, la maison d'édition Phébus sollicite depuis ses services. L’initiative devient peu à peu mutuelle : la lectrice intensive qu’elle est leur signale les productions qui lui paraîtraient dignes de se voir traduites. C’est donc ce qu’on peut appeler une collaboration suivie. Par ailleurs, cela n’empêche pas des traductions ponctuelles pour d’autres maisons mais cela reste souvent sans suite.

Dans ce métier, que l’on travaille très bien ou que l’on ne travaille pas, tant pis. L’intermittent de l’écriture préfère s’accommoder de son sort et rechercher d’autres viatiques que dénoncer une prétendue fatalité propre à sa profession. « Par essence, l’engagement dans la traduction est non rentable au vu du temps passé sur une œuvre ». La précarité et les aléas sont alors compensés par un investissement créatif constant.

 

Une expérience intellectuelle à penser et vivre

La méthode de retranscription s’élabore au fil du temps. En autodidacte, le travail de Corinna Gepner s’est fait par approches successives. Dans un premier temps, la restitution littérale prime. Puis ce sont des séries d’écarts et d’approximations par rapport au texte qui s’ensuivent. Des versions améliorées s’esquissent. C’est un va-et-vient permanent entre deux langues jusqu’à un moment donné, l’abandon d’une langue pour l’autre. Le tout dans le but d’insuffler au texte une distance et une respiration respectables. Dans la plupart des cas, le résultat est acceptable plus que satisfaisant. Lire dans la seule finalité de traduire sans se laisser porter par le récit ? On peut craindre que cette façon de procéder ne nuise au plaisir de l’acte de lecture. Cette peur apparaît déjà cependant lorsque l’on entreprend des études littéraires qui se penchent sur des textes pour tenter de les rationaliser. Corinna Gepner dément cette vision, « la traduction suscite un approfondissement autant du texte que des ressources de votre propre langue ».

Certaines traductions sont réputées chef d’œuvres, par exemple les œuvres de Poe par Baudelaire .Comment qualifier une bonne traduction ? Une bonne traduction fera-t-elle obligatoirement date ? Rien n’est figé car la conception de cette activité varie selon les époques. « Les traductions datent et elles aussi se démodent ». A l’heure actuelle, on privilégie la fidélité au texte mais les problèmes inhérents à cet exercice restent entiers. Une bonne traduction s’efforce avant tout d’être une bonne équivalence. Il importe de respecter plus l’esprit que la lettre.

Ce vers quoi tend le traducteur est de rendre au mieux les atmosphères d’un univers. « Cela mobilise vos connaissances d’une la langue étrangère autant que vos facultés dans votre langue maternelle ». On approche des champs de significations sans jamais être sûr du résultat. Le passage d’une langue à l’autre suppose des trahisons, conformément au célèbre proverbe. Mais dans des formes tolérables, elles ne sont pas un mal en soi. La familiarité avec l’univers d’un auteur donne une approche plus aisée et facilite le respect de sea musicalité. Entrer dedans est un long travail qui constitue néanmoins un gain pour la suite. Pourtant, chaque texte a sa spécificité et un auteur évolue. C’est alors que le traducteur s’éduque à la prudence et l’ouverture d’esprit.

Quelle est la part de créativité du traducteur ? Madame Gepner s’est inlassablement posé la question. « Cette part, on se la crée avec une évaluation permanente du bien fondé de cette liberté avec la pratique ». Il n’y a pas une approche systématique. On ne doit pas confondre le traducteur avec un écrivain frustré tout comme un interprète de musique n’est pas toujours un compositeur raté. « Ce sont deux activités  différentes ». L’inventivité est incessamment requise et en cela, le travail épanouit celui qui l’accomplit.

Traduction, économie et mondialisation

De nombreuses traductions se publient par an. Beaucoup d’entre elles passent inaperçues et se voient même taxer de médiocrité. Si le traducteur est le seul expert, comment les éditeurs, les chercheurs ou théoriciens pourraient-ils évaluer son travail ? « Cette évaluation pose de multiples problèmes. Mais l’éditeur jour un rôle de garde-fou ». Il fait confiance au technicien et n’exécute pas le travail à sa place. Et il relit le texte avec une exigence impitoyable. La dimension linguistique lui semble peut-être étrangère mais il est en mesure d’apprécier la qualité du rendu et de renvoyer le traducteur à certains passages lorsqu’il ne lit pas avec fluidité ou plaisir. L’idée d’un contrôle du métier est donc une utopie. Mais soyons bien conscients, nous autres lecteurs/consommateurs à l’autre bout de la chaîne du livre, que le jugement de l’éditeur/financeur invite le traducteur au pragmatisme.

A l’heure de la mondialisation et de l’hégémonie de l’anglais, la traduction littéraire en France respecte-t-elle le multilinguisme et la diversité culturelle ? On ne peut pas aller contre la suprématie de l’anglais sous toutes ses variantes, elle représente la réalité. Fatalement, la production en cette langue la reflète. Toutefois, dans les années qui viennent de s’écouler, Corinna Gepner évoque des livres commercialisés sur le territoire français qui témoignent d’une diversification non négligeable. Le catastrophisme est donc à proscrire. Notons par exemple la récente découverte de la littérature hongroise ainsi que celles de langues rares. Il en devient même ardu de s’orienter dans cette multitude. En tant qu’importante lectrice, Corinna Gepner ne peut que s’en féliciter. Et les autres dévoreurs de lettres de reconnaître le traducteur pour leur permettre cette ouverture sur les autres cultures qu’on ne mesure pas toujours pleinement.

Propos recueillis et compilés par Antoine Catry.

Ecrit par acatry, le Dimanche 30 Octobre 2005, 15:33 dans la rubrique Le projet "Prix Amphi" de Lille 3.

Commentaires :

cloock
31-10-05 à 07:00

Bon à mettre en ligne

Bravo pour ce travail intelligemment mené et bien écrit et qui peut être mis en ligne tel quel. Reste à Corinna Gepner le soin de dire si ce texte reflète complètement ses propos ou si elle souhaite y apporter quelques rectifications.

J'attends les autres textes, sur le blog ou sur la messagerie.

C. Loock


 
pauline
31-10-05 à 07:57

très intéressant

Personnellement je trouve ce texte riche en information et très bien écrit.

C'est peut-être un modèle à suivre...?

pauline